© Réalisation photographique Youry Bilak
Vous avez réalisé de nombreuses séries sur l'Ukraine qui étaient de facture assez classique. Comment vous est venue l'idée de "Projectio", que nous présentons ici qui s'inspire de tableaux de grands maîtres ?
Avec La Cène de Léonard de Vinci, la photo qui ouvre ce portfolio. C'était la cinquième fois que je me rendais dans la zone de conflit. Pas du tout pour faire du reportage, je ne suis pas un photographe de guerre. Les photos que je ramenais n'intéressaient plus personne en France, où l'actualité était déjà plus tournée vers la Syrie. En Ukraine, il y avait quotidiennement des morts et ce jusqu'à ce jour. Au moment de Pâques, j'ai voyagé avec ce prêtre que j'ai suivi dans plusieurs endroits où il officiait. Dans un baraquement, les soldats étaient réunis là pour le repas de Pâques et La Cène s'est offerte à moi. Je suis passionné par la peinture. J'ai compris que c'était là le moyen, pour ces images de reportage, de devenir pérennes. De retour en France, j'ai sélectionné des tableaux de maîtres sur Internet que j'ai mis dans mon téléphone. J'ai réfléchi à certaines images avant de repartir sur le front et je suis reparti il y a un an. J'y suis retourné avec deux volontaires qui connaissaient bien les routes. Certaines images étaient préméditées, d'autres sont nées d'une rencontre ou d'un lieu. La majeure partie des photos ont été faites à l'Hasselblad, à la chambre et au Pola.
Comme Edouard Boubat, le photographe dont il admire le plus le travail, Youry Bilak aime photographier les gens. D'origine ukrainienne, il a tenu à rendre compte à sa manière du conflit qui secoue le pays depuis deux ans. S'inspirant de toiles célèbres, il a photographié les héros anonymes d'une guerre que l'on a tendance à oublier...
Vous avez été prothésiste dentaire, puis danseur, comédien, metteur en scène... Comment êtes-vous venu à la photographie ?
La photographie est arrivée avant tout cela. Mon père a toujours photographié. Il avait un 6x9. Je le revois toujours avec cet appareil à soufflet. Quand je regarde ses images maintenant, je me dis que pour quelqu'un qui n'a jamais appris la photographie, il avait vraiment un œil... On ne pouvait pas cadrer avec cet appareil et pourtant ses cadrages étaient vraiment soignés. Donc j'étais imprégné par cela très tôt. Il m'a offert cet appareil. J'ai fait quelques photos. J'ai trouvé que le piqué était assez moyen. Du coup, quand j'ai commencé à travailler en 1978, ma première paye a servi à acheter un Minolta SRT 100X. Et depuis j'ai toujours photographié. J'ai été prothésiste, puis j'ai commencé à danser. J'ai été pris dans la comédie musicale Cabaret de Jérôme Savary. Un spectacle qui a eu beaucoup de succès. J'ai photographié toutes les phases de l'élaboration de ce spectacle, de sa création jusqu'à la promotion. Mon œil s'est affiné. J'ai commencé à gagner un peu d'argent avec la photo et je me suis posé la question de me lancer.
C'est avec ce travail sur Cabaret que ça a commencé ?
Oui, j'ai eu quelques publications. Après cela, j'ai effectué plusieurs voyages au cours desquels j'ai vraiment cherché des endroits à photographier. Je suis issu d'une minorité ukrainienne, les Houtsuls. C'est pourquoi peut-être j'ai toujours été sensible aux minorités partout où je voyageais : à Madagascar notamment. J'ai fait également une série de photos en relief pour les non-voyants.
Invité d'honneur YOURY BILAK